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Renforcer le pouvoir d'agir

Publié le 29 janvier 2020 par

Agir sur son environnement peut être facilité par quelques préalables : avoir une connaissance du contexte dans lequel on se trouve, être pleinement conscient·e·s des interactions intérieures et extérieures à cet environnement (enjeux individuels et collectifs, partenariats, influence d’autres acteurs externes, questions économiques…), s’interroger sur l’existence potentielle de rapports de domination, oppressions et conditionnements (1), et enfin questionner ses propres représentations sur cet environnement.


Les méthodes d’animation participative permettent de renforcer le pouvoir d’agir de chacun·e dans les temps collectifs. Mais il peut exister des freins, des résistances à la participation, même en étant dans une posture facilitante et sans jugement, avec des objectifs et des méthodes adaptés. Et il existe aussi de nombreux leviers !
Il est donc intéressant de se questionner : comment renforcer la capacité à participer pour chacun·e ?


On peut identifier plusieurs types de freins et de leviers à la participation (liste non exhaustive) :

Freins et leviers (Résistance individuelle au changement > accompagnement individuel au changement / Résistance collective au changement > Accompagnement collectif au changement / Pression du groupe sur les individus > Émancipation des groupes et des individus / Difficultés d'une personne dans ses compétences psychosociales > Développement des compétences psychosociales)

Accompagnement individuel au changement

Certaines personnes peuvent résister à l’invitation de participer, parfois car elles sont déstabilisées par un changement de méthode. Demander à une personne de participer, alors que celle-ci est habituée à être passive dans des temps collectifs, peut susciter une résistance, voire un refus, et c’est compréhensible. Il est donc important de procéder par étape, en commençant par une méthode qui n’implique et n’expose pas trop. Il s’agit donc de mettre en place des actions en vue de faire disparaître ces résistances.


On peut par exemple :

  • Prévenir les personnes en mentionnant l’utilisation de méthodes d’animation participative dans l’invitation ou le programme
  • Le rappeler quand on pose le cadre en début d’animation
  • Rassurer quant à l’implication de chacun·e. Par exemple : « Nous allons varier les méthodes, en petit ou grand groupe, à l’oral ou à l’écrit, pour que chacun·e trouve sa place », ou encore « personne ne sera obligé de prendre la parole s’il ne le souhaite pas »
  • Demander en début de séance « de quoi avez-vous besoin pour vous sentir bien dans ce groupe ? ».


Cela nécessite donc de tenir compte de la zone de confort (qui correspond aux habitudes) et des pratiques des personnes. Au-delà de cette zone de confort existe une zone de développement (zone d’expérimentation, d’émancipation), dans laquelle on va chercher à s’aventurer, pour tester, pour grandir. Il peut être intéressant de revenir de temps en temps à sa zone de confort initiale, afin de rassurer la personne.


Explorer et agir dans sa zone de développement permet d’élargir petit à petit sa zone de confort. Par contre, un changement trop brutal peut faire entrer dans ce qu’on appelle une zone de panique. Si une personne passe directement de sa zone de confort à sa zone de panique, elle n’est pas en mesure de grandir, d’apprendre, ou de s’émanciper. Il peut donc être judicieux d’identifier les zones de confort des participant·e·s, sur lesquelles s’appuyer dans un premier temps afin de rassurer le groupe, puis d’accompagner ensuite chacun·e dans sa zone de développement. Évitons de pousser les personnes dans leur zone de panique ! Sur une activité comme la prise de parole à l’oral, ne commencez pas, par exemple, par une activité de théâtre d’improvisation avec participation obligatoire, vous risquez d’être contre-productif !


Photo d'un groupe utilisant des abaques de Régnier pour débattre

Accompagnement collectif au changement

Un groupe, qui se trouve dans un mal-être collectif (difficultés avec la hiérarchie par exemple ou autres violences institutionnelles (2)), peut être dans le rejet d’une intervention, ou plus précisément d’une méthode. La personne qui anime peut s’en trouver déstabilisée, quand bien même elle n’a potentiellement aucune responsabilité dans ce mal-être.
Effectivement, il arrive que certains groupes possèdent au quotidien peu d’espaces et de temps pour de l’expression de ressenti, de vécu, pour des questionnements ou des propositions.




Les méthodes d’animation participative peuvent alors être l’occasion de « libérer » des tensions n’ayant rien à voir avec l’objet initial du temps de travail.
Empêcher l’expression de ce mal-être pour mettre à tout prix en œuvre l’intervention prévue n’est pas très efficace. Il est important dans ces cas de prendre le temps de redéfinir votre rôle, les objectifs de l’animation, et de dissocier ce qui concerne le mal-être (causes, effets) et ce qui concerne l’animation et son objet. On peut par exemple proposer un affichage libre ou une « boîte à idées » ou « boîte à coups de gueule » en expliquant : « s’il y a des choses que vous voulez exprimer, mais qui ne concernent pas notre temps de travail directement, je vous invite à les exposer par écrit sur les affichages ou dans les boîtes prévues à cet effet ». On peut aussi proposer une pause (même en tout début de temps de travail), pour permettre de libérer ce qui doit être dit et échangé. Dans certains cas extrêmes, et notamment lorsqu’il y a eu une approche trop peu critique de la commande d’intervention (si on intervient uniquement sur des symptômes de dysfonctionnements d’un groupe sans aborder les causes de ces dysfonctionnement par exemple), la démarche, et même les objectifs, peuvent être à ré-interroger, voire à faire évoluer pour mieux répondre aux réels besoins, si vous avez la marge de manœuvre nécessaire à cette adaptation en direct !


Émancipation des groupes et des individus

Dans tout groupe, certains comportements peuvent venir poser problème : manipulation, « grande gueule », moquerie, remarques sexistes, comportements moutonniers, confiscation du leadership, passivité, etc. Y porter une attention particulière peut alors permettre d’éviter de générer de la souffrance chez certain·e·s participant ·e·s. Il s’agit alors de réguler ces comportements ou d’en faire un objet de travail à part entière, avec la
possibilité de rechercher les causes de ces comportements (dans l’idéal, agissons sur les causes !). Pour ce faire, on peut mettre en arrêt le travail en cours, en proposant au groupe de réfléchir sur les freins et les leviers au travail collectif. Il vaut alors mieux éviter de personnifier, de nommer la personne qui met en difficulté les autres, et préférer la reformulation sous forme de problématique, du type : « La répartition de la parole vous semble-t-elle partagée équitablement dans ce groupe ? Quelles sont les marges de progrès possibles ? Comment les mettre en œuvre ? ». On peut aussi envisager d’aller discrètement discuter en aparté avec une personne générant des difficultés, à l’occasion d’une pause ou d’un travail en petits groupes, pour trouver un terrain d’entente et/ou pour comprendre les causes qui amènent ces difficultés et agir directement sur ces causes si cela est possible…


S’inspirer de la communication non violente (3) peut alors être bénéfique : « Paulette, je suis un peu en difficulté pour faire participer chacun·e, tu as donné ton avis 6 fois de suite ce matin et cela freine peut-être un peu certain ·e·s, j’aurais besoin d’équité dans la répartition de la parole, est-ce que tu peux prioriser tes interventions pour laisser participer les autres, ça serait ok pour toi ? ». Enfin, on peut envisager de reposer le cadre par une phrase générale : « Certains dans le groupe participent beaucoup, ce qui est intéressant, mais laisse peu de place aux autres, merci d’être vigilant à ça », ou plus ciblée : « Merci Paulette pour ton intervention, je vais me permettre de donner la parole aux autres si tu veux bien pour la suite, de manière à ce que chacun puisse participer ».


Il est aussi possible d’envisager la mise en place de différentes stratégies pour atténuer la pression du groupe :

  • Mettre en place des petits groupes pour libérer la parole de chacun·e
  • Différencier, en séparant les participant·e·s en petits groupes et en donnant des consignes différentes à chaque groupe
  • Compenser, en proposant à certaines personnes de venir plus tôt pour consolider les prérequis au temps de travail
  • Tout au long de l’animation, on peut aussi valoriser la participation, par des phrases telles que « Merci, Thierry, pour cette intervention, cela va permettre de recentrer le débat ». Cela peut permettre d’encourager les personnes qui en ont besoin, en consolidant leur sentiment de compétence et leur estime d’elles-mêmes et en les aidant à se positionner dans le groupe.

Développement des compétences psychosociales

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit les compétences psychosociales comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion
des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. ».



Ces compétences, essentielles et transculturelles, sont étroitement liées à l’estime de soi et aux compétences relationnelles, qui sont les deux faces d’une même pièce : relation à soi et relation aux autres. L’OMS en identifie 10 principales, qui vont par deux :

  • Savoir résoudre les problèmes / Savoir prendre des décisions
  • Avoir une pensée critique / Avoir une pensée créatrice
  • Savoir communiquer efficacement / Être habile dans les relations interpersonnelles
  • Avoir conscience de soi / Avoir de l’empathie pour les autres
  • Savoir gérer son stress / Savoir gérer ses émotions


Une estime de soi assez faible et une dévalorisation de ses propres compétences peuvent impacter l’expression, la pensée ou le stress d’une personne. Il importe alors de soutenir la personne dans sa participation, aussi timide soit-elle, et d’être attentif à tout ce qui pourrait être vu comme de l’humiliation, du reproche, de la mise en difficulté.


En conclusion

Ainsi, pour renforcer le pouvoir d’agir :

  • On peut être dans l’accompagnement de l’individu, par le renforcement de ses compétences psychosociales, de sa capacité à sortir de sa zone de confort et à l’élargir, de ses compétences communicationnelles, etc.
  • On peut aussi faire évoluer le contexte de manière à ne pas mettre en place des situations qui peuvent être un frein à la participation : choisir différemment le lieu de l’animation, le matériel, l’aménagement, votre vocabulaire, la composition ou la taille du groupe, etc.
  • Enfin, il est possible de construire une animation adaptée, en variant les méthodes (écrit/oral, petit groupe/ grand groupe, etc.) qui sollicitent différentes capacités afin que chacun·e trouve sa place.


Pouvoir ou capacité ? Il convient aussi de délimiter le mot pouvoir lorsqu’il est utilisé pour parler de pouvoir d’agir. On pourrait être tenté de parler de capacité d’agir, dans l’idée de développement de compétences, plutôt que de pouvoir d’agir, pour éviter la dimension oppressive qu’on peut trouver dans le mot pouvoir. Mais on peut voir le pouvoir comme une force, un pouvoir génératif, c’est-à-dire la capacité de promouvoir des changements significatifs, et pas un pouvoir sur l’autre, une domination. Alors nous gardons l’idée du pouvoir d’agir !


  • 1 Conditionnements : Être conditionné, en parlant d’un individu, signifie être soumis à une influence externe (normes sociales, culture, éducation…) qui guide et détermine son comportement, ses opinions, ses goûts, etc.


  • 2 Violences institutionnelles : « Pour définir la violence institutionnelle, il faut définir le terme « violence ». L’étymologie (racine : vis : force) nous renvoie à « l’usage de la force » dans des situations déterminées pour résoudre des difficultés ou des problèmes. À partir de cette définition, on peut construire une double échelle. La première considère la violence physique, verbale, le harcèlement… soit tout ce que sanctionne socialement le Code pénal. La seconde vient prolonger la première : il s’agit de préjudices plus discrets, de violences « d’attitudes », qui ont lieu dans les institutions. Les attitudes de mépris, le refus de la parole, l’évitement, le mutisme, le favoritisme… font partie de ces violences visibles et « invisibles », qui ne sautent pas à l’œil. » Source : Questions à Jacques Pain, professeur de sciences de l’éducation : « Toute institution a tendance à fabriquer de la violence » (13 mai 2005).


  • 3 Communication non violente : Marshall B. Rosenberg la définit comme « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant ». N’hésitez pas à lire son livre « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) », ou encore à vous former sur la question (plus d’informations sur http://www.cnvformations.fr/).


Texte issu de l’introduction du Livret outils : méthodes d’animation participative
Édition 2020 – Scicabulle
Livret disponible au bureau 58 rue Raulin 69007 Lyon (appeler avant au 06 52 84 38 31) ou sur
https://www.helloasso.com/associations/scicabulle/evenements/boite-a-bulles (cocher la case « frais de port » si livraison)